Ne pas remarquer d’emblée l’état de délabrement général. Heurter le soyeux d’une paroi du halo trop vif de la lampe de poche. Balayer la surface brillante du mur jusqu’à l’arrête du plafond. Curieux plafond de lambris dont la peinture gris-bleu se lézarde. Ni suspension ni simple ampoule électrique. Quelques traînées sombres sur les dalles du sol. Des carreaux jusqu’à mi-hauteur de deux murs perpendiculaires à l’émail éraillé d’une longue cicatrice rouillée. Pas d’eau qui s’écoule si on tourne le gros robinet au-dessus de la cicatrice. Une humidité lourde persiste pourtant dans cet étroit cabinet. En sortir. Entrer dans la rotonde immense. L’éclat de la lampe balayé en demi-cercle s’étiole dans la distance, laisse dans la pénombre les bords de la salle. Avancer vers le centre sur une épaisseur de sable fin, peut-être est-ce de la sciure qui coule entre les doigts. S’arrêter. D’où vient ce sentiment, cette intime conviction d’être dans un lieu familier ? Regard circulaire, une vingtaine d’embrasures identiques à celle du petit cabinet (de toilette ?). Entrer dans l’un d’eux, au hasard, (au hasard croit-on), et retrouver la paroi si lisse d’un des murs, les lambris du plafond gris-bleu fissuré, les carreaux d’émail à l’entaille rouillée, le robinet sans eau. Ressortir, hésiter à entrer dans un autre, juste pour une vérification. Un coup d’œil depuis le pas de porte suffit à constater la similitude du troisième puis du quatrième cabinet avec les deux premiers. Se détourner. Une rambarde de bois d’environ un mètre de hauteur encercle la vaste surface recouverte de sciure. La longer de près, s’en servir comme guide pour explorer la pénombre car la lampe torche commence à défaillir. Une lueur incertaine tombe des vitres de la coupole à quelque neuf (dix ?) mètres de haut. A peine assez pour distinguer quelques formes saturées de phosphènes. De ce côté, il n’y a plus de réduits identiques les uns aux autres. Mais un étroit escalier aux marches incrustées dans la paroi s’élève vers la coupole. Une rampe de corde, quelques paliers. Où conduit-il ? Le halo suit en vacillant son ascension jusqu’au quatrième palier où une passerelle le prolonge. La lampe clignote puis s’éteint. Tout retourne à l’obscurité.

Texte écrit pour l’atelier En quête du fantastique proposé par François Bon durant l’été 2015 | #2 marcher dans la maison vide.