立夏 Rikka – Début de l’été

Ce devrait être le début de l’été si l’on en croit le calendrier des micro-saisons japonaises sur lequel je fais reposer cette tentative de journal. Pourtant on a plutôt l’impression d’avoir glissé dans un monde définitivement gris où le ciel bouché et la pluie règnent. J’ouvre un compte Instagram pour y publier certaines des photos que je prends au fil de l’eau. Besoin de fixer un peu les choses avant qu’elles ne s’évanouissent dans le temps et la multitude.

Arriver à la fin de Pays de neige avec cette nostalgie particulière qu’on éprouve en quittant un livre aimé. Comme d’autres livres qui emportent en troublant et dont la beauté laisse sans voix – pourtant j’ai lu bien des passages à voix haute – Pays de neige me donne envie de le relire immédiatement, de ne pas le refermer et le poser comme ça… mais tant d’autres livres attendent leur tour.

Nous partons à Dijon, ma ville natale, y rejoindre ma mère, ma sœur et ma tante pour un petit séjour-pèlerinage sur les lieux de mon enfance. Au sortir de la gare, nous passons au Jardin Darcy pour faire signe à l’Ours Blanc, repère des promenades de ma petite enfance. Le centre de la ville est désormais totalement piétonnier et il est très agréable de déambuler dans ce splendide ensemble architectural. Nous retrouvons ma famille place François Rude et allons prendre un verre sur la place de la Libération, place en demi-lune emblématique de la ville. Nous prenons soin de noter tout ce que chacune souhaite voir ou revoir (Matt de son côté s’est préparé un petit parcours de cavistes nature).

Nous allons à Talant sur le Belvédère avant de visiter l’église Notre-Dame, qui contient une très belle Mise au tombeau du XVIe siècle. Des personnages simples, des femmes à la posture parfois émouvante entourent le corps allongé du Christ porté sur un linceul par deux barbus. Des vitraux modernes (1998), œuvres du peintre Gérard Garouste et du maître verrier Pierre-Alain Parot éclairent la pénombre. L’église est sobre et belle, et je trouve aussi le village plus beau que dans mes souvenirs.

Plus tard, nous marchons le long du boulevard Eugène Spuller et nous arrêtons un moment devant l’immeuble où nous habitions, de zéro à trois ans pour moi. Ma mère nous dit qu’avant le boulevard s’arrêtait juste derrière notre immeuble. Chaque fois que je me trouve devant cette entrée, je m’étonne d’être autant marquée par ce lieu, par certaines de ces caractéristiques, d’éprouver la sensation que l’arrondi des balcons, la rugosité du bossage se sont comme incrustés en moi. Sur le même boulevard, nous cherchons et trouvons l’immeuble où ont habité un temps mes grands-parents paternels.

Le lendemain nous allons nous promener et déjeuner à Beaune. Nous visitons la cathédrale et les Hospices dans lesquels je n’étais jamais entrée. Chaleur ardente. Nous nous reposons un instant à l’ombre du cloître de l’église. Le soir après les avoir quittées, Matt et moi nous passons un moment sur la place de la Libération, très animée, beaucoup de passants et des jeunes dansant en cercle sur la musique tsigane que font vibrer deux musiciens.

Quelques autres “pèlerinages” au programme de notre dernier jour à Dijon. Nous nous donnons rendez-vous rue Paul Thenard pour aller voir la maison style année 30 où ont vécu Missia et Mina, mes grands-parents paternels, après que nous avons tous quitté le boulevard Eugène Spuller et avant notre déménagement à Cannes. C’est peut-être cette maison dont la présence reste la plus vive en moi. Émotion de quelques souvenirs, très simples et chers. Ma sœur et moi parlons des rosiers grimpants que mon grand-père cultivait avec amour. Je pense au texte écrit il y a quelques années sur Dijon. Nous allons ensuite rue de la Sablière devant le petit immeuble, aujourd’hui un peu délabré, où vivait Suzanne, notre grand-tante, qui nous invitait de temps à autre à déjeuner le dimanche dans son petit deux-pièces sombre. Dans la cathédrale Sainte-Bénigne où résonne une répétition d’orgue, je repense à la femme vêtue de noir qui s’y mettait parfois à hurler avant de traverser l’église en grimpant sur les chaises inoccupées. Nous marchons un peu dans les rues Piron et Amiral Roussin à la recherche d’une terrasse pour déjeuner. Notre séjour se termine dans le jardin Darcy. Ma mère affirme n’y être jamais venue alors que durant plus de trois ans elle a vécu à trois cents mètres de là. Beaucoup d’étonnement car le jardin Darcy était pour moi le but de mes promenades quasi quotidiennes avec Mina. Est-ce une défaillance de sa mémoire ? J’insiste. Mais non elle soutient n’y être jamais venue. Assises sur un banc, nous attendons l’heure où Matt et moi reprendrons le train pour Paris. De leur côté, elles profiterons d’une dernière soirée à Dijon avant de reprendre la route le lendemain.

Nous allons à la Comédie Française voir Les démons que j’ai fini de relire en début d’année. Curieuse de voir comment en 2h30 de spectacle, Guy Cassiers allait pouvoir extraire la substantifique moëlle de 1200 pages très intense. L’atmosphère tourmentée du roman est très bien rendue. L’utilisation de panneaux vidéo (très fréquente au théâtre maintenant) encadrés comme des tableaux donne le recul de différents points de vue (sans qu’on sache forcément auquel se fier le plus) et fait place à l’ironie qui parcourt le livre. Le chapitre noir du livre, absent des premières éditions (censuré ?), n’est pas évoqué. Les comédiens sont formidables, en particulier Dominique Blanc.

Et puis arrive le moment de notre départ pour Stockholm où nous avons enfin décidé de nous rendre. C’est un printemps tardif et ensoleillé qui ravit les Stockholmois avides de soleil. Joie de revoir notre cher Imor chez lui où nous n’avons encore jamais été.

 

 

Laisser un commentaire