arrivée

Des nuages épais. D’une blancheur éblouissante. Leurs contours nets laissent entrevoir les îles bordées d’écume, les rivages escarpés plongeant dans le vert intense de la mer de Chine. Plus tard les mots de Volodine cristalliseront ce premier choc. Pour l’instant, tu ouvres grand les yeux. L’avion amorce un profond virage au-dessus de la Baie, laissant apercevoir de hautes collines sombres derrière la forêt urbaine. Sous toi, en perspective verticale, la ville aux longs bras de verre et d’acier tendus vers le ciel. Comme dans ton souvenir, l’avion longe une rangée d’immeubles. Le regard frôle un instantané de vies quotidiennes, un homme qui fume à sa fenêtre, deux femmes assises près d’un enfant aux jambes nues debout sur une table… on est passé trop vite, reste une sensation d’intimité fugace, une curieuse émotion. Ainsi tu es là. Là est devenu ici. Coïncider avec le lieu, l’instant. Tu descends de la passerelle de l’avion. Sur le tarmac, la touffeur, l’humidité poisseuse. Les chevilles gonflent dans la file d’attente pour le contrôle des passeports. Les souvenirs sont flous. Tu revois C qui t’attend derrière la porte d’arrivée. Tu la revois vêtue d’un t-shirt kaki, tenant un sac en plastique au poignet. Elle te guide dans la foule, dans le brouhaha où résonnent des annonces en chinois (cantonnais ou mandarin ?) et en anglais. Elle te guide vers le métro, précisant qu’il faudra vous imposer y compris un peu brusquement sous peine de rester à quai. L’incroyable propreté du métro. Nul besoin de se tenir dans la rame bondée, tu flottes soutenue par les corps étrangers serrés contre toi, hommes et femmes souvent minces en chemise claire. Pour sortir aussi il faut lutter contre le courant inverse en gardant contre toi le sac de voyage et le cabas. Maintenant Central Piers, les embarcadères vers les îles. Pas trop de monde, il est encore tôt dans l’après-midi. Quand le ferry quitte le quai, le vent soulève vos cheveux, un souffle d’air bienfaisant, le bateau prend de la vitesse, la Skyline s’éloigne, serrée entre l’eau et les montagnes… il y a quelque chose de saisissant dans cette verticalité de la nature et du bâti. Les mots échangés entre C et toi lors de cette première traversée de la Baie, tu ne t’en souviens pas. Tu dois donner des nouvelles des amis de France, elle te parle sans doute un peu de sa vie ici avec G, de leur travail dans le camp de réfugiés vietnamiens. Le ferry approche de Peng Chau, tu aperçois la courbure du rivage, le léger moutonnement des collines touffues. La tranquillité de l’île, la modestie des bâtiments, d’un étage ou deux, contrastent avec la frénésie de la ville entraperçue. C et G habitent près de l’embarcadère un petit immeuble aux balcons encombrés. Vous allez déposer ton sac et boire un café dans le petit séjour où tu dormiras ce soir et les soirs à venir. Quand tes paupières s’alourdissent C te conseille de ne pas les fermer et d’attendre ce soir pour t’endormir. Vous allez faire un tour dans l’étroite rue principale, bordée de boutiques minuscules pleines à craquer, de cagettes de fruits à même le sol, de différents modèles de ventilateurs, de rice cooker posés sur des chaises en plastique blanc… Ton regard se perd dans la profusion des objets, des couleurs, tu respires l’odeur lourde des étals de mangues.