sans retour

… et toujours l’espoir s’évanouissait tu cherchais ton chemin tu continuais d’avancer croyant voir au carrefour de deux rues un bâtiment qui te dirait quelque chose et puis rien ce n’était pas ce que tu croyais l’espoir se dissipait tu croisais des gens leurs regards te traversaient comme si tu étais transparente tu marchais en te disant qu’à un moment ou un autre tu trouverais bien quelque chose…

… aux feux des dizaines de vélos s’arrêtaient avec des grincements de frein et des cliquetis de sonnettes enrouées des dizaines de vélos et de vieilles mobylettes serrés les uns contre les autres et quelques pick-up et de rares voitures alors tu traversais et allais vers la perspective agrandie d’une avenue espérant apercevoir un des immeubles que tu avais remarqués le matin même à moins que ce ne soit la veille..

…tandis que la peur se dissémine dans les muscles noués dans le sang les viscères secouées de spasmes les doigts recroquevillés et ces yeux fixés sur moi qui m’observent qui me scrutent qui me rejettent comme si j’étais an absolute outsider une fille irrécupérable pour la communauté

...et son regard aussi comment l’oublier, il est entré dans la bibliothèque sans que je le voie, j’étais assise sur le tapis entourée de recueils et d’atlas, concentrée sur un des livres que Mme Muir m’avait prêtés, quand nos regards se sont croisés, une fraction de seconde et tout se joue, il a compris que je ne repartirais pas, que je ne pourrais pas repartir avec lui, et moi j’ai su que je ne pourrais pas reprendre la mer, retourner à…

… et toujours l’espoir s’évanouissait devant les écriteaux marqués d’idéogrammes l’un d’eux indiquait peut-être la direction que tu cherchais mais tu ne le saurais pas tu avais demandé de l’aide à un des rares passants qui t’avait regardée comme un être humain tu lui avais demandé vers où aller mais tu ne parlais pas sa langue il ne comprenait pas la tienne même les onomatopées les mimiques que tu lui adressais lui semblaient définitivement étrangères

… t’accrochant aux grilles tu t’étais hissée devant l’immense parvis de la gare où des centaines de personnes se croisaient arrivant dans la mégapole ou repartant vers les banlieues ou les campagnes comment pourrais-tu la retrouver dans cette multitude dans ce déferlement qui te submergeait qui t’absorbait qui empêcherait tout retour…

… mais elles, elles partiraient après-demain, elles avaient déjà dit adieu aux camarades du camp fermé, parmi eux des gens du village moins habiles à apprendre l’anglais ou le français, des gens qui ne partiraient peut-être jamais, mais elles, après-demain elles s’envoleraient pour l’Occident, elles souriaient, on ne pouvait pas savoir si en cet instant elles pensaient aux anciens, ceux qui n’avaient pas voulu ou pas pu partir, trop âgés pour quitter le village, trop fragiles pour monter sur une embarcation de fortune, forcément elles devaient y penser de temps à autre, sans trop s’attarder sinon le cœur se déchire, elles avaient la vie devant elles, elles partiraient en sachant qu’elles ne retourneraient sans doute jamais au village, au lieux d’enfance, au pays natal…