
Le Lézard Dragon et la Mue de la Vérité.
La Vérité légère et nue s’en allait sans souci sur une langue de béton qui ouvrait chemin à travers un marais grouillant où feuilles énormes, plantes rampantes, rhizomes enchevêtrés, abritaient un vacarme coassant, pépiant, caquetant à qui mieux mieux. Quand nous disons qu’elle allait nue, entendons là qu’elle avançait sans artifice ni faux-semblant, se plaisant dans son insouciance à ignorer les dangers invisibles mais sonores qui fourmillaient alentour. Elle s’amusait de la mise en garde du sage qui l’avait avertie que des cobras royaux régnaient dans les collines et attaquaient les imprudents qui foulaient leur territoire. En ce temps-là, vivait dans le marais parmi les crapauds géants et les serpents humides, un lézard dragon verticalement agrippé à la tige drue d’une grande feuille de taro, se nourrissant de moustiques, de libellules et d’éphémères qui voletaient à portée de sa langue. Trois collégiennes vêtues d’uniformes clairs, de longues chaussettes blanches recouvrant leurs mollets, passèrent devant lui d’un bon pas avant de croiser la Vérité folâtre, toute à sa perception de la moiteur tropicale. Admirant la végétation luxuriante des collines voilées de brume, celle-ci s’arrêta tout près du reptile dont la présence immobile alerta sa vigilance. Vers lui, elle tourna son regard et aperçut, à travers les feuillages, quarante centimètres de chair cartilagineuse recouverte d’écailles claires et surmontée d’une tête rose rouge de dragon aux yeux globuleux. Son sang se figea et face à cette forme primitive une répulsion archaïque secoua tout son corps. De son côté, le dragon la fixait et semblait lui dire Qui croyais-tu être, présomptueuse étrangère qui t’en viens promener tant d’insouciance dans nos marais pullulants ? Si tu trembles devant moi, inoffensif saurien, que feras-tu devant le terrible Bongare rayé ? Cherchant à recouvrer ses esprits, la Vérité encore sonnée observa le Dragon quelques instants avant de reprendre sa route, désormais attentive aux ondulations furtives qui traversaient son chemin.
Pour la proposition 18 de l’atelier Outils du Roman de François Bon, il fallait écrire une histoire vraie… Tant d’interrogations face aux dualités vrai/fiction, vérité/mensonge, réel/faux-semblant… Alors l’envie de tenter une petite fable nourrie du souvenir d’un vrai réel vécu. Avec la gracieuse participation de la Vérité en personne (s’il vous plaît), puisque tout un chacun aime bien l’incarner à son tour.