
Rêve de mains.
Elles se reposent les doigts de l’une glissés sous les doigts de l’autre, posées sur la peau d’un ventre en proie à une activité intense mais calme, elles dorment pour l’instant soulagées de toutes les tâches qui leur incombent, elles rêvent qu’elles sont des ailes ondulant dans l’air lumineux, au-dessus de larges eaux scintillantes. Un jour elles raconteront comment elles sont parties comment elles se sont détachées pour s’envoler dans l’air léger, d’une légèreté telle qu’elles s’interrogent l’espace d’une seconde se demandant pourquoi elles n’ont pas songé plus tôt à prendre le large. Elles dansent haut dans le ciel, leurs doigts s’écartent, les phalanges se cambrent, les ongles s’allongent, elles s’inventent une grâce indienne, elles s’éventaillent. Maintenant des griffes crochues leur poussent, longues et acérées. Elles scrutent le sol, cherchant une proie pour fondre en piqué sur sa nuque. Percutant la terre elles voient avec horreur des fourmillements de poils noirs enrouler leurs doigts jusqu’aux poignets, les voilà détalant de leurs pattes velues sur des feuilles sèches, comme des tarentules géantes elles grimpent sur le tronc d’un arbre pour y surprendre des oisillons au nid. Un cauchemar les rattrape. Elles avancent à tâtons dans sa gueule obscure, appuyant leur empreinte sur des parois humides, elles cherchent une issue dans le noir. Leurs doigts sont gourds, paralysés, le froid les a envahis. Elles se frottent l’une contre l’autre pour se réchauffer et aussi pour effacer cette tache apparue sur la paume gauche. C’est une tache sombre, une sombre tache de sang. À force de frotter, elle s’atténue, elle disparaît. Mais la voilà qui réapparait dans la paume droite. Frotter encore, frotter plus fort, avec ce bloc de savon brut, essayer de laver le sang indélébile. Parfois leur revient entre les doigts la sensation d’une mousse savonneuse, de temps à autre elles aimaient laver les vêtements, les assiettes, le sol, mais cela revenait trop souvent. Elles se rappellent comment elles saisissaient le poignet du partenaire et s’accordaient à son énergie, elles se rappellent leur adresse à se jouer du fil des couteaux pour trancher les légumes. Elles se souviennent des moments de grâce sur un clavier d’ordi, plus rarement sur les touches d’un piano… Elles ont gardé dans leur mémoire de peau la douceur des petites mains entre leurs doigts, contre leur paume. Elles fuient la nostalgie, elles aimeraient encore ondoyer soulevées par les courants ascendants. Mais dans le creux du ciel leur rêve tourne à vide, elles s’affolent comme des hirondelles désorientées par les saisons trop chaudes.
Elles se sont écartées, la droite reste avec ses doigts étendus sur le ventre à présent endormi, l’autre repliée frôle l’emmêlement des cheveux à hauteur de tempe. Elles ne rêvent plus, elles continuent à dormir dans la pénombre du matin.
La sensation que dans le sommeil, les mains vivent leur propre vie, rêvent leurs propres rêves, n’échappent pas aux cauchemars. Avec une incursion imprévue de Lady Macbeth…