Tu partis.

Tu traversas le marché. L’air est déjà poisseux au-dessus de la Baie. Tu longes les étals de poissons, de crustacés dans leurs derniers tressaillements, la glace commence à goutter le long des tréteaux. Tu marches au milieu de l’agitation matinale sans regarder les marchandises accumulées, une puanteur sourd du fond des allées se mêlant au parfum d’essence qui se dégage des étals de mangues. Tu passes une dernière fois devant les immeubles vertigineux aux balcons grillagés, aux bouches d’aération hideuses, qui t’avaient tant impressionné lors de ton arrivée à K., tu ne les regardes pas. Tu ne pris pas le métro. Tu marches d’un pas décidé, tranquille, le visage neutre, presque serein. Tu sais maîtriser les expressions de ton visage même quand ton rythme cardiaque s’accélère. Tu évites de te demander si les nouveaux détecteurs à vibrométrie laser peuvent déceler l’emballement de ton cœur. L’arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l’entend ? La lumière rasante du début de matinée fait plisser tes yeux. L. déboucha d’une ruelle perpendiculaire à Portland Street. Elle avance devant toi, vêtue d’un jogging sombre, une casquette enfoncée sur la tête, un sac à dos de taille moyenne se balance sur son épaule droite. Tu remarques sa démarche, un peu trop déliée quand elle allonge le pas, elle est loin d’être aussi calme qu’elle veut le paraître. Des oiseaux de mer hurlèrent dans le ciel. La brume ne se dissipe pas, elle coupe en deux la silhouette des gratte-ciels de Central. Les voitures, de plus en plus nombreuses, ralentissent sur Portland Street. Tu essaies de ne penser à rien. Un groupe de joggers vous dépasse. Vous descendîtes vers le port. Un ferry est en train d’accoster, un autre est à l’approche. Vous êtes légèrement en retard sur l’horaire prévu. Il y a déjà foule, des employés de banque de Central en chemise claire, des saisonniers en partance pour les îles, des ouvriers du bâtiment avec leur casque, beaucoup de policiers en uniforme. Tu scrutas la foule. Tu cherches à repérer Matt qui doit vous attendre près de l’entrée Est pour vous fournir les laisser-passer. Tu rejoins L. et la préviens que la fermeture de son sac à dos est légèrement ouverte. Elle te remercie et fait mine de refermer son sac. Tu passes devant elle. Tu regardes de tout côté, tu ne vois toujours pas Matt. Ton nom résonna dans un haut-parleur. Tu es prié de te présenter au guichet 5. L. te suit à deux mètres de distance d’un air faussement nonchalant. Tu attends devant le guichet 5 que la femme qui te précède dans la file d’attente ait fini de régler une invraisemblable affaire de validité des titres de transports de ses trois enfants. En l’écoutant, tu constates que certaines subtilités du cantonnais t’échappent toujours. Quand vient ton tour, tu dis à la jeune employée que tu viens d’être appelé à son guichet. Elle te tend une enveloppe. Tu dois signer un reçu après l’avoir ouverte et constaté qu’elle contient bien les deux laisser-passer. Le document est plus long que ne l’est habituellement un reçu. Tu parcours une vingtaine de lignes d’idéogrammes, en relis certaines, quelques formules te semblant exagérément alambiquées. Tu es étonné que Matt n’ait pas laissé au moins un petit mot expliquant pourquoi il ne vous a pas lui-même remis les deux laisser-passer. La jeune femme te presse, te faisant remarquer que derrière toi la file s’agrandit. Tu signas et tendis le reçu à la jeune femme. Il te sembla qu’elle te regardait d’un air ironique. Tu te retournes, tu cherches L. des yeux. Elle n’est plus entre la file du guichet 4 et la file du guichet 5. En même temps, tu te demandes si tu as bien fait de signer ce document. Une caméra de vidéosurveillance zooma sur ton visage, tes paupières clignaient fiévreusement. Tu scrutes la foule, à droite à gauche, et encore plus à droite, sur le côté, de l’autre côté, entre les gens qui s’entassent, les policiers qui patrouillent parmi les files d’attente. Tu as beau scruter la foule, nulle part tu ne vois L.