Attendre. Attendre encore à ce point de la ville, devant le numéro 21 d’une ruelle ombragée, à cette heure quasi déserte. Mais il ne se voit pas rester indéfiniment immobile devant la porte close, devant la plaque de faïence du 21. De l’immeuble voisin, quelqu’un le guette derrière des volets à moitié rabattus. Un ragazzo sans casque est passé trois fois devant lui, la dernière fois en faisant cabrer son scooter. Il longe la rue jusqu’à l’entrée du parc, il hésite puis revient pour sonner une nouvelle fois. Pourquoi n’est-elle toujours pas rentrée ? Il va faire un tour dans le parc, il regarde des enfants glisser sur un toboggan. Dans son dernier message, elle disait qu’elle allait revenir aujourd’hui. Presque un mois qu’elle est partie à Rome…  Ça ne sert à rien de l’attendre là-bas, figé devant la façade jaune de son petit immeuble… mieux vaut faire le tour du parc, s’asseoir un instant sur un banc. Mais il n’arrive pas à écrire ni à dessiner… pas plus à lire… il est suspendu à son attente. Il était tellement soulagé d’apprendre qu’elle revenait aujourd’hui, maintenant que tout s’est arrangé pour le nouveau-né, sa première petite-fille… Bientôt 16 heures. Il espère encore pouvoir dormir chez elle ce soir. Les squares, ça va bien une nuit ou deux, mais ce matin vers 5 heures, un chien lui a léché le front et a grondé quand il a sursauté, la peur bleue de sentir cette grande gueule au-dessus de son visage… pour un peu il se faisait arracher le nez ! Il se lève d’un bond, frotte son bras, son cou, les moustiques sévissent dans l’ombre touffue des arbres. Il sort du parc. Il rappelle l’auberge de jeunesse sans grand espoir, ils ne répondent presque jamais au téléphone. Il faudrait y retourner, une place devait se libérer, il ne faut pas trop tarder s’il veut trouver un vrai lit pour ce soir. Mais si la signora Galardi arrivait pendant ce temps ?

 

Écrit pour l’atelier d’été de François Bon – Tiers Livre : Construire une ville avec des mots
proposition #17 – la notion d’obstacle – jusqu’ici, le narrateur n’a jamais interagi avec le réel dont il fait récit : et si on retrouvait trois épines, fissures, cassures, événements hors de sa volonté propre, trois fois où ce réel a littéralement fait obstacle au narrateur ? –- une autre manière alors d’entrer en rapport avec le fragment de ville à la source du récit