…de lumière électrique, violemment verdâtre, qui éclaire un reste de conscience dans la nuit, baigne les murs granuleux de cette épicerie minuscule miraculeusement ouverte dans un quartier plongé dans le silence, un phare où viennent s’agglutiner nos vies éphémères et le néon à la graphie italique, inscrivant Oggi en rose fluorescent sur nos pupilles dilatées, una coca zero per favore, un liquide pour électriser nos corps défaillants s’il vous plaît, et l’homme derrière la caisse comprend cette supplique, il cherche la canette la plus fraîche, et d’autres sont entrés pendant ce temps, deux qui parlent en français, une troisième qui se tait et c’est difficile de trouver la monnaie pour payer le coca, les gestes comme empêchés, un homme de soixante ans en marcel vient de rentrer une étagère métallique sur roulettes chargée de boissons et il soupire, et les français veulent une glace, ils ont remarqué qu’il y avait là quelques parfums de gelato artigianale, non ci sono piu lampone, regrette l’homme qui vient de ranger dans le tiroir-caisse les pièces données pour le coca zéro et il attend que les clients déçus choisissent un autre parfum de glace et celle qui se taisait dit tout à coup Pourquoi pas vanille ? les bulles ont jailli de la canette, elles ont pétillé sur les lèvres, les français ont payé leurs glaces, l’homme derrière la caisse a dit buona notte, l’homme au marcel a porté des packs de bouteilles d’eau au fond de la boutique et maintenant il s’avance avec une manivelle pour enclencher la fermeture du rideau de fer, les français sortent de l’épicerie, il faudra finir la canette de coca dans la rue, espérer que les bulles éclatent assez fort dans la bouche, que des frissons à la surface de la peau relancent la machine, lui donnent assez de vie pour aller vers…

 

Écrit pour l’atelier d’été de François Bon – Tiers Livre : Construire une ville avec des mots
proposition #11 – lieu non lieu – choisir, quelque part dans la ville, une de ces petites bulles d’intérieur qui sont aussi des espaces publics, et la faire exister telle quelle, comme nous la vivons tous