Il attend devant le numéro 21 de cette ruelle étroite qui rejette la blancheur du soleil sur le haut des façades. Il s’est appuyé sur le haut mur d’enceinte d’un parc aujourd’hui fermé. Face à lui, la porte modeste du 21 est encastrée dans un mur jaune. Une porte à deux battants de bois foncé, chacun muni d’une poignée ronde, dorée sur le battant gauche, noire sur le battant droit où se loge, une trentaine de centimètres plus haut, l’ouverture métallique d’une boîte aux lettres sous laquelle est inscrit le nom de famille de la femme qu’il attend. A côté de la porte, une fenêtre derrière une épaisse grille de fer peinte en vert, scellée dans la maçonnerie. Aucune volute, aucun motif décoratif ne prétend agrémenter la grille ni alléger son allure carcérale. Des pots de différentes couleurs – mauve, vert pâle, bleu, jaune, noir – sont serrés derrière la grille sur une petite planche à mi-hauteur de la fenêtre. Ils laissent échapper l’un des tiges surmontées de fleurs roussies, un autre quelques bras décharnés de succulentes déshydratées et le plus petit, le noir, des feuilles d’une vitalité surprenante eu égard à la négligence qui semble pourvoir à l’entretien de ces plantations. Entre la porte et la fenêtre, au-dessus du numéro 21, surgit le raccordement d’une gouttière noire qui grimpe le long de la façade jusqu’au toit et dont tout laisserait à penser que son excroissance disgracieuse sur le mur est la conséquence d’un oubli dans les plans initiaux de l’immeuble, si d’autres gouttières aussi incongrues ne poussaient pas le long des façades voisines, plus discrètes que celle-ci car fondues dans le crépi jaune des murs. Il regarde le nombre 21 tracé en bleu foncé dans un hexagone de faïence blanche bordé d’un liseré du même bleu foncé. Dessous, deux sonnettes sont insérées dans un petit encadrement de marbre gris veiné. Galardi est le nom de la femme qu’il attend, de la femme qui n’a pas répondu lorsqu’il a appuyé à deux reprises sur la sonnette du dessus. Il s’est demandé s’il n’avait pas perçu un bruit sourd derrière la fenêtre à barreaux juste après avoir sonné. L’épaisseur du silence ensuite a fait taire son doute. Il ne se passe sans doute rien derrière l’alignement des pots de fleurs coincés entre la vitre de la fenêtre et la grille. Le pot vert et le pot mauve ont la même forme légèrement évasée vers le haut. Le noir – qui contient les plantes les plus vivaces – est en plastique. La céramique du pot jaune est plus sophistiquée, d’ancienne facture. Sa matière grenue, émergeant entre des coulées vertes plus lisses, évoque irrésistiblement les grains des épis de maïs. L’idée lui vient alors que Mme Galardi ne laisserait pas ses plantes se dessécher dans les pots qu’elle a soigneusement alignés devant la fenêtre. Qu’elle n’a pas dû rentrer chez elle depuis longtemps. Et que sans doute il attend en vain, inutilement planté devant le numéro 21.

 

 

Texte écrit pour l’atelier d’été de François Bon – Tiers Livre : Construire une ville avec des mots.
Proposition #5 :  où comment l’art des détails de tout ce qu’on ne remarque pas peut conférer au lieu de départ sa poétique et sa présence…