En fin d’après-midi, Adrien rentra chez lui, ébloui après quelques heures passées sous le soleil. Dans l’escalier il croisa la voisine du dernier étage qui grommelait des paroles indistinctes, son regard nébuleux balayant l’espace environnant sans prêter attention au salut discret que lui adressait Adrien. Il se demandait souvent si cette femme n’était pas en fait un homme, un homme parfois travesti en gardienne hystérique qui l’exhortait alors à faire poser sur sa vieille porte une plaque de cuivre gravée, en lieu et place des petits bristols blancs où le nom de Pola et le sien émergeaient d’une typographie design mais ne restaient jamais une semaine entière sans être lacérés. Un morceau de papier était glissé dans l’encoignure de sa porte : J’ai trouvé votre chat. Le voisin du 4ème.

Pola lisait dans la pièce centrale inondée de lumière. Nessuna s’est sauvée, dit Adrien, tu ne t’en es pas aperçue ? Il y a un mot du voisin. Pola leva rapidement les yeux vers lui pour expliquer qu’elle n’avait pas cessé d’être interrompue dans sa lecture, une fois par un livreur qui s’était trompé d’étage, ensuite par des témoins de Jéhovah et enfin par Simon venu distraire sa solitude autour d’un café. Nessuna avait dû profiter de ces allées et venues pour filer. Elle se replongea dans son livre.

Il était inutile de lutter contre l’indifférence affichée de Pola, contre son insistance à lui signifier que Nessuna était son chat à lui et qu’elle-même aurait préféré s’épargner les contraintes occasionnées par un animal domestique. Il sortit de l’appartement.

Par une fenêtre de l’escalier grand ouverte, il aperçut sa belle chatte grise qui se prélassait sur une terrasse dominant la cour intérieure de l’immeuble. Elle le fixait d’un air narquois par les fentes de ses yeux verts à demi fermés. Tu as vu comme j’ai pu me sauver facilement… Sacrée Ness !  murmura-t-il. Tss ! Tss ! Nessuna le regarda en inclinant légèrement la tête. Il commença à descendre quelques marches avant de se raviser. Comment Ness avait-elle pu atteindre cette terrasse ? Les balcons étaient beaucoup trop éloignés les uns des autres pour qu’elle ait pu sauter d’une rambarde à l’autre. Il extirpa de sa poche le mot du voisin. C’était le voisin du 4ème étage qui avait trouvé Nessuna, un vieux monsieur qui habitait juste au-dessus d’eux et pas ce couple de retraités dont la grande terrasse faisait face à leur cuisine. Il regarda à nouveau le chat gris qui l’observait avant de remonter l’escalier.

Le voisin entrouvrit sa porte avec méfiance.

Bonjour, c’est Adrien, votre voisin du troisième, dit-il, je viens chercher mon chat. Le vieil homme ouvrit plus largement sa porte. Un chat gris accourait, le ventre aplati vers le sol. Ness ! appela Adrien. L’animal gémit en levant les yeux vers lui. Il l’attrapa, remercia son voisin et redescendit chez lui, portant la chatte apeurée dont les griffes s’enfonçaient dans la chair de son bras. Avant d’entrer, il jeta un coup d’œil par la fenêtre de l’escalier. Le chat de la terrasse dormait sur un fauteuil d’osier.

Pola lisait toujours, ses belles jambes nues étendues sur le vieux sofa.

Tu sais, j’ai vu un autre chat… commença-t-il. Un chat gris qui ressemble incroyablement à Ness.
Vraiment ? fit-elle en continuant à lire. Ce qui est incroyable, poursuivit-il, vraiment incroyable… Il se tut. L’incroyable, pensait-il, c’était que le chat dont il parlait ressemblait plus à Nessuna que… que… Nessuna elle-même, finit-il par s’avouer. II revoyait la pulpeuse fourrure argentée luire sur la terrasse des voisins.