
canicules
Les rails de la voie désaffectée, plantes rampantes et cailloux du ballast, la poussière sèche, éblouissante, les ronces le long du muret, les tags de couleurs vives, les grands arbres de chaque côté pour un semblant d’ombre où nos corps ne tiendront pas entiers et la stature des hauts immeubles de part et d’autre de la perspective si longue sous le soleil de midi. Après le pont aux garde-corps métalliques, on peut se glisser par une petite ouverture dans le square Charles Peguy et s’abriter sous des feuillages denses. S’apercevoir alors que les jasmins grimpants ont un parfum d’encens. Prendre un des chemins qui convergent vers l’espace des jeux d’enfants. Les fleurs des grands catalpas sont déjà roussies. Des gradins en demi-cercle, on observe mieux les deux ensembles d’immeubles qui émergent de la verdure, façade crème contre façade brique, les angles coupés de leurs fenêtres, une impression art déco dans l’assemblage des volumes.
La Coulée Verte en surplomb de la ville file entre arbres et buissons. Des bancs dans des alcôves de verdure. Sur l’un d’eux trois jeunes femmes assises, éventail et gourdes en main, accablées par la chaleur. Près du tunnel, une ribambelle d’enfants avec des animateurs fait une pause sous les grands arbres. De l’eau ruisselle dans le tunnel, je regarde le visage des animaux sauvages peints dans des trouées de pierre. La passerelle BZ/12 franchit le jardin de Reuilly. Plus loin un long bassin aux plantes aquatiques. Moi aussi je suis dans le déni me dit ta voix dans le téléphone. Dans nos têtes son visage de vingt-cinq ans, son sourire incompatible avec la mort. Je regarde les feuilles effilées des plantes aquatiques, les fines grappes roses qui en jaillissent. Je te dis que je suis à nouveau sur la Coulée Verte, comme mercredi dernier. … quand je travaille, son image s’intercale sans cesse… je n’arrive pas à réaliser que… Une passerelle en plein soleil surplombe la rue et s’insinue entre deux tranches d’immeubles.
Sur l’esplanade, la lumière durcit les visages de métal du Bas-Relief. Elle dissout le filigrane du Tigre Blanc. À cette heure-ci, personne ne s’attarde devant le Mémorial. Quelques personnes se réfugient à l’ombre du toit débordant du Pavillon à l’extrémité de la place. Les projets de végétalisation du parvis sont restés lettre morte. Tout est béton, métal, agglomérat de roches. Quelques rares passant·es tirent leur chariot de course en remontant du marché qui a déjà replié la plupart de ses étals. En tournant le dos au Bas-Relief, on surplombe les longues allées du marché, les camionnettes des marchands, les femmes et les hommes du service de nettoyage avec leurs gros tuyaux qui propulsent du sable sur les détritus et les flaques. Plus loin, la masse touffue des arbres du square. Au fond, les façades de verre scintillantes des gratte-ciels de Central.
Verso
Des ombrelles et des parapluies clairs se sont déployés devant le Mémorial. Des mères et des accompagnatrices protègent du soleil les enfants de huit-dix ans regroupés face au Bas-Relief. Vêtus de bleu nuit et de blanc, un bob clair sur la tête. L’enseignante vient de donner la parole à une guide d’une cinquantaine d’années. « Est-ce que vous êtes déjà venus ici ? » Quelques mains se lèvent. Des oiseaux marins crient en survolant l’esplanade. « Que représentent tous ces visages ? » L’enseignante secoue son éventail. Elle semble loin la fraîcheur exceptionnelle qui a soulagé la ville la semaine dernière. « Oui, ce sont des étudiants… » Les têtes se renversent en arrière pour regarder l’énorme silhouette de métal sculptée en hauteur que la main de la guide leur désigne. « Pourquoi il est si gros ? » La guide sourit. « Parce que c’est le Grand Homme ! » Visages sceptiques. « Il pouvait pas être si grand en vrai ! » « Non, bien sûr, c’est une allégorie, c’est l’expression de sa grandeur… » Une grande femme aux cheveux clairs vient d’arriver devant le Mémorial, accompagné d’un gaillard roux affublé d’une caméra. «…sa grandeur d’homme d’état, de Président, et… aussi la grandeur d’âme d’un homme qui a su pardonner… » Des enfants baillent, des mères tendent des bouteilles d’eau. La guide leur propose de reculer de quelques mètres sur l’esplanade pour mieux voir le Bas-Relief dans son ensemble. Les mains en visière, tout le monde contemple le Bas-Relief. « Le Tigre ! » Des doigts se tendent. « Regardez, regardez ! Le Tigre Blanc… » On aperçoit le filigrane du Tigre Blanc miroiter sur la paroi du Bas-Relief.
C’est le début de l’atelier d’été de François Bon, intitulé cette année Recto/verso. Il y aura une double proposition tous les trois jours, un recto lieu et un verso locuteur.trice et/ou personnages. Ça va être très intense, je vais travailler les propositions dans la perspective de K. pour accumuler de la matière pour mon livre.
ois