matières du rêve

De quelle·s matière·s sont faits les rêves ? comment écrire un rêve ? où trouver la texture, la nébulosité parfois, les forces à l’œuvre qui décuplent les possibilités ou paralysent les actions… Lisant Le rêve de Dédale, architecte et aviateur dans Rêves de rêves de Tabucchi, je note cette sensation de savoir quelque chose, de se souvenir de quelque chose mais sans savoir pourquoi : “Il se souvenait de cette salle mais sans savoir pourquoi il s’en souvenait.”

Et je me rappelle que dans mon rêve récurrent d’un appartement dont les pièces cachées se révèlent, il y a la sensation d’avoir toujours connu l’existence de ces pièces même quand elles restaient ignorées dans la pénombre.

Alors que j’essaie d’écrire les rêves de Mirna dans l’île de la Rééducation, je me demande si la douceur de certains mots, si certaines couleurs de voyelles donneraient la sensation de rêve sans qu’il soit explicitement écrit qu’il s’agit de rêves ?

En relisant Les ruines circulaires de Borges, le rêve d’un homme qui prend finalement conscience qu’il est rêvé par un autre homme (“Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit que lui-aussi était une apparence, qu’un autre était en train de rêver.”), retrouver ce même vertige aussi à l’œuvre dans le rêve du papillon de Tchouang-tseu :

« Zhuangzi rêva une fois qu’il était un papillon, un papillon qui voletait et voltigeait alentour, heureux de lui-même et faisant ce qui lui plaisait. Il ne savait pas qu’il était Zhuangzi.
Soudain, il se réveilla, et il se tenait là, un Zhuangzi indiscutable et massif. Mais il ne savait pas
s’il était Zhuangzi qui avait rêvé qu’il était un papillon, ou un papillon qui rêvait qu’il était Zhuangzi. Entre Zhuangzi et un papillon, il doit bien exister une différence !
C’est ce qu’on appelle la Transformation des choses.
 »
Tchouang-tseuZhuangz

et dans une moindre mesure dans l’ancienne chanson chinoise citée en exergue de Rêves de rêves :

Sous l’amandier de ta femme,
lorsque la première lune d’août surgit
de derrière la maison, tu pourras, si les dieux sourient,
rêver les rêves d’un autre.

Alors que j’essaie d’écrire les rêves de Mirna je me demande quelle pâte, quelle texture exprimerait le vertige, le labyrinthe, la dissociation, le glissement… Les mots de Borges n’encouragent guère : “Il comprit que l’entreprise de modeler la matière incohérente et vertigineuse dont se composent les rêves est la plus ardue à laquelle puisse s’attaquer un homme.”

Laisser un commentaire