l’odeur-fantôme

Elle colle son nez à l’épaule pour renifler son aisselle. S’est isolée dans les toilettes, a retiré sa veste, dégrafé sa chemise. Elle renifle l’autre aisselle, aspire sa moiteur aigre de bergamote. Elle renifle aussi le creux des coudes, l’intérieur des poignets, sur les veines la senteur estompée d’une goutte de parfum. Ce n’est pas ça, l’odeur qu’elle cherche, l’odeur un peu brûlée qui affleure, elle a beau frotter son corps, elle affleure encore, brosser sa peau à la faire rougir ne suffit pas, toujours l’odeur revient, elle flotte tout autour, elle doit se déposer quelque part mais où ? Elle renifle ses doigts, la paume des mains : une senteur de plastique neuf. Elle respire les longueurs de sa queue de cheval. Sous les parfums d’herbes coupées et de romarin laissés par le shampoing, des relents de la ville, un fond d’odeurs lourdes qui rappellent l’odeur qu’elle cherche à repérer. Elle renifle plus fort ses cheveux, inspire leur épaisseur, il y a là comme une fadeur de vase imprégnée de fumée. Une chaleur monte tout à coup, monte à ses joues, une chaleur vénéneuse comme la sueur des marais et des fruits pourrissant. L’odeur-fantôme. Elle semble envahir la pièce, partout et nulle part à la fois, elle l’entoure, entêtante, elle va s’accrocher à ses cheveux, à ses vêtements. Il n’y a pas de fenêtre dans cet espace réduit, juste un pulvérisateur de lavande synthétique à côté des toilettes, elle l’attrape, appuie sur le diffuseur, un maigre nuage se disperse dans l’air. Elle ne veut pas être engloutie dans l’odeur-souvenir. Elle retrousse ses manches, ouvre le robinet, presse plusieurs fois la pompe du savon qui coule au creux de sa paume. Elle malaxe longuement ses mains, ses avant-bras, dans ces effluves de vanille presque écœurantes mais qui peu à peu chassent l’odeur-fantôme. Elle essuie ses mains et reprend sa veste accrochée à la poignée de la porte, son odeur de textile neuf pas encore imprégnée de l’humeur aseptisée des open spaces.