une ligne subreptice


« Donne moi ta main :
Je vais maintenant te raconter comment je suis entrée dans l’inexpressif qui a toujours été ma quête aveugle et secrète. Comment je suis entrée dans ce qui existe entre le numéro un et le numéro deux, comment j’ai vu la ligne de mystère et de feu, et que c’est une ligne subreptice. Entre deux notes de musique il existe une note, entre deux faits il existe un fait, entre deux grains de sable si contigus soient-ils, il existe un intervalle, il existe un sentir qui est entre-sentir – dans les interstices de la matière primordiale se trouve la ligne de mystère et de feu qui est la respiration du monde, et la respiration continue du monde est ce que nous entendons et appelons silence. » (p. 119)

Clarice Lispector. La passion selon G.H.

Il faudrait toujours faire attention quand un.e écrivain.e nous est recommandé avec tant de ferveur, j’ai en tête Jean-Michel Espitallier qui, dans un mail aux participant.es de l’atelier Poésie, parlait de l’immense Clarice Lispector (oui elle est immense, tellement), il faudrait savoir le risque qu’on prend en lisant une écriture aussi exigeante, aussi radicale, bien sûr on ne peut pas imaginer qu’on va se faire dévisser la tête à chaque phrase, que quelque chose va cogner lourd à l’intérieur, qu’on n’arrivera même pas à savoir exactement de quoi il s’agit, parce que déjà c’est terminé avec la vie qu’on menait jusqu’à présent, on est parti dans une lumière éblouissante, au-dessus d’une ville immense, une ville aux cent mille mendiants et quelque chose dans notre regard, dans notre façon de respirer l’air ambiant a changé irrémédiablement.