la nuit d’avant

La nuit d’avant, tu tournes en rond. Le sac est vide, grand ouvert. Tes vêtements bien pliés, ton carnet, la trousse de toilette, le tome 1 de Crime et châtiment, là sur la table. Avec le k-way tout neuf, indispensable en pleine saison des pluies. Et l’appareil photo, tropicalisé. Passeport, portefeuille et lunettes de soleil déjà dans le cabas mou où tu mettras aussi ton livre. Tu tournes en rond, d’excitation et d’impatience, cette envie tellement forte, irrationnelle, d’aller là-bas, dans cet archipel, dans cette ville à laquelle des images, des souvenirs surgis d’on ne sait où, t’attachent depuis l’enfance. Alors pourquoi tant d’inquiétude maintenant… L’impression que là-bas est plein de dangers, d’inconnu abrupt, impitoyable… comme si tu allais vers un pays totalement sauvage, où les montagnes, les fleuves, les villes n’auraient pas de noms, où les us et coutumes seraient erratiques, cruels, sans règles écrites et moins encore appliquées, un magma, un chaos… les chats viennent se frotter à tes mollets, ils ont émis un miaulement rauque tout à l’heure quand tu as sorti le sac, le noir a sauté sur la table pour flairer tes vêtements… bien sûr ce n’est pas le chaos là-bas, des millions de personnes y vivent leur vie à peu près comme nous ici. Le chaos, il est plutôt dans ta tête… tu caresses les chats, tu leur parles, A viendra les nourrir chaque jour et restera un moment avec eux… malgré tout tu te sens coupable, plus de trois semaines, c’est long… tu te demandes si c’est la peine d’aller si loin pour plonger dans ton chaos ?  Tu grignotes un morceau de pizza, tu finis le dernier yaourt. Un post-it sur la porte d’entrée pour ne pas oublier de descendre la poubelle demain matin. Tu t’allonges sur ton lit, un moment de flottement, d’absence, avant de sursauter, cœur battant. Tu es bien réveillée maintenant. Tant pis si tu dors peu, tu auras tout le temps demain durant les treize heures de vol.