les dominos

     la porte d’entrée reste souvent ouverte durant le jour pour faire un appel d’air avec une autre porte lui faisant face, ouverte sur la véranda et le minuscule jardin de pierres, dans la pénombre des volets baissés, sous le ronflement monotone de l’énorme ventilateur fixé au plafond       malgré l’air brassé, la moiteur stagne dedans comme dehors même si l’allée de lattes grisées au bord du petit jardin peut donner une illusion de fraîcheur       sur la droite, les hautes vitres de son atelier à elle – on y entre rarement –    tout droit, la véranda longe le seuil du salon avant un mur où sont adossées deux chaises longues puis l’entrée de la grande cuisine aux volets clos contre le soleil d’ouest        des effluves de menthe, de gingembre et peut-être aussi de paprika y flottent       de vieux placards d’un autre temps repeints en blanc jouxtent un grand réfrigérateur moderne dans lequel infuse toujours du thé glacé aux chrysanthèmes        en ouvrant sa porte pour saisir la grande théière et se verser un thé on remarque les légumes soigneusement coupés dans des boîtes en verre et de nombreuses canettes de bière        serrant la tasse fraîche au creux de la main ou l’apposant contre le front contre les joues on hésite à s’asseoir à la table de bois peint assortie aux placards        quand un claquement sec incite à écarter le rideau de perles donnant sur le salon au canapé d’un rouge profond – son velours inconfortable par cette chaleur – entouré de deux fauteuils en osier, vides        devant la porte ouverte sur la véranda, a été tirée une table de jeux où une partie de dominos, semble-t-il, est en cours        deux femmes d’une cinquantaine d’années et une troisième beaucoup plus jeune sont assises, alanguies dans la touffeur de l’après-midi, perlant de sueur, les mains protégeant leurs dominos du regard des autres        elles semblent attendre, une quatrième chaise écartée de la table est vide        à sa gauche, dans une poussette, un enfant encore bébé vient de se redresser et regarde fixement devant lui