le hangar

Le hangar, il l’avait remarqué bien sûr : sa silhouette sur la terre rase, ses vielles planches grises, l’ouverture en trapèze au-dessus de la porte close par des tôles ondulées. Mais vite fait, sans y prêter beaucoup d’attention. C’est quand il a vu le peintre en sortir comme subrepticement, qu’il s’y est intéressé. Il aurait juré que l’homme l’avait aperçu et s’était empressé de s’éloigner en faisant mine de ne pas l’avoir vu. Étonnant pour quelqu’un qui l’avait si jovialement abordé l’après-midi même, se souciant de l’accueil qu’il pouvait recevoir dans cette campagne taiseuse et cherchant discrètement à connaître les raisons de son séjour prolongé dans la région. Apprenant qu’il effectuait des recherches sur ses aïeux, il lui a aimablement conseillé de contacter l’adjointe au maire, la bibliothécaire ambulante voire le garde champêtre. Bien entendu, ils ont évoqué l’affaire Effroyable ! dans notre région si tranquille ! mais Joseph, sans rien dire de l’enquête qu’il menait secrètement ni des chaussures qu’il avait trouvées, a détourné la conversation vers le tableau que le peintre venait de terminer au bord du canal. Ses compliments étaient sincères, il aimait la profondeur des verts la finesse des gris rosés de ce paysage lancinant. Lorsqu’ils se sont quittés, le peintre lui a proposé de boire un verre au bar de l’Écluse, un jour, à l’occasion. L’expression a curieusement résonné et Joseph y a repensé en regagnant les sous-bois humides, percevant confusément que l’occasion, si elle se présentait, ne serait due ni au hasard, ni à son propre souhait, mais à la seule volonté du peintre… Écartant cette curieuse impression, il a poursuivi son périple à travers bois. C’est en retournant au village à la tombée de la nuit, entre chien et loup, qu’il l’a aperçu sortir furtivement du hangar. Après avoir dîné, il est allé faire un tour au bar de l’Écluse. Un groupe néo punk y jouait sans conviction devant un parterre clairsemé. Rentré à l’auberge, il a essayé de dormir… Trois heures du matin. Déjà. L’obscurité est quasi totale, pas une lumière dans les maisons. Joseph traverse le village, il avance sur la route sans allumer la lampe de son téléphone, il n’y a personne pour le voir mais on ne sait jamais. Bientôt la masse sombre du hangar est là, un noir plus dense, ses pas foulent la terre sèche, il trouve comment écarter les tôles ondulées pour entrer. Il sort de son sac à dos d’énormes lunettes de vision nocturne. Dans un halo vert, l’intérieur du hangar apparait. Sur la droite, de grandes fourches sont suspendues à des crochets à côté d’un motoculteur couvert de poussière. Contre le mur à gauche, des formes rectangulaires de différents formats sont entreposées debout, les unes contre les autres, recouvertes par de grands draps. Il soulève délicatement un pan de tissu, découvrant des toiles de paysages : l’eau, les champs, les bois, parfois les reflets du soleil à travers des branchages. Plus loin, d’autres paysages. Et au fond une découverte inattendue : des esquisses de mains, de pieds, blancs, très bien saisis, avec quelque chose de froid, de rigide, comme s’il s’agissait de statues. Intriguant. Il sort son téléphone pour prendre quelques photos, mais il n’en a pas le temps, un éclair fend l’obscurité, un faisceau de lumière vive qui fuse entre les planches du hangar, il y a quelqu’un dehors, quelqu’un qui s’approche à pas lents.

Deuxième texte écrit en réponse à l’appel de François Bon à 100 autrices & auteurs pour un atlas roman. Un fragment de fiction se déploie à partir d’une photographie choisie dans l’Atlas des Régions Naturelles d’Éric Tabuchi et Nelly Monnier. Ce texte suit la veine de sortant du bois toujours dans l’atmosphère de La noyée de la Vingeanne, un livre fantôme initié il y a deux ans dans un atelier de Jean-Michel Espitallier.

Photo d’un hangar à Dommarien © Éric Tabuchi et Nelly Monnier
Source : Atlas des Régions Naturelles.