Comme des notes

Penchée vers son livre ouvert sur ses cuisses, elle lit. Seule sur un rocher du ruisseau artificiel qui coupe le bas de la pelouse en pente. Son sac en tissu est posé à côté d’elle. Elle est vêtue d’une robe sombre à motifs floraux et de sandales noires. Hors champ, trois ou quatre jeunes enfants s’ébattent près de l’eau, quelques parents sont assis sur l’herbe. Elle lit. Des corneilles survolent le parc. Il y a comme un mélange d’abandon et d’attention dans son corps qui lit. Et pour moi qui passe, l’envie irrésistible de capter cet instant de concentration intense.

Énorme feuille gaufrée, échancrée, aux nervures profondes. Une des feuilles du bouquet de Gunnéra tinctoria ou rhubarbe géante du Chili, planté au milieu de la pelouse. Contraste entre la profusion tropicale des feuilles géantes et la surface lisse de la pelouse soignée. Contraste entre le calme de la pelouse (qu’on n’aperçoit pas sur la photo) et le tourbillon immobile des énormes feuilles. Sous terre, les rhizomes de la Gunnéra tinctoria, plante invasive, commencent à se ramifier et à s’étendre.

Assise sur un banc, entièrement vêtue de blanc, robe longue et turban. Face au soleil déclinant, encore très fort. Tout autour l’emmêlement des branches, le foisonnement des feuilles encore vertes mais fatiguées et derrière elle l’ombre de troncs puissants. Sa présence a quelque chose d’une apparition, à la frontière du réel.

La plupart du temps, je prends des photos comme des notes, quand je marche, avec mon téléphone (Sony xperia Z2). Sans rien préméditer, juste pour me souvenir plus tard de la sensation qui m’a saisie sur l’instant. Et souvent ces photos, comme celles-ci prises au parc où je vais me dégourdir les jambes après des heures immobile devant l’ordi, je les décolore. Je les décolore – une manie – pour les rapprocher de la sensation furtive que j’ai éprouvée en les prenant, comme pour presser leurs lignes, leurs formes, les amener près d’une synthèse, d’une épure. Pour faire surgir ce qu’elles ont à me dire. Avec l’idée d’une présence à saisir au bord du réel.

Au départ, je ne pensais pas participer au nouvel atelier de François Bon #photofictions et puis le texte de Fil Berger m’en a donné envie et dans ma tête revenaient les dernières photos prises au parc.