S’éloigner dans ce paysage flottant.

Maintenant c’est fini, on va avancer les yeux fermés, à tâtons dans ce paysage flottant. On inspire l’air moite qui monte des marais emplis de cris invisibles parfois inquiétants, on suit un étroit chemin vers les collines humides débordant d’arbres aux racines tortueuses aux feuilles énormes. Une odeur de vase et d’herbe foulée accompagne les pas qui hésitent encore sur le sol devenu spongieux. On essaie de se fier aux bruissements des feuilles à l’envol des oiseaux au frôlement d’un buisson sur le bras. On pourrait craindre de tomber mais on continue d’avancer. Sous les paupières souvent le scintillement de la mer inonde les yeux clos comme l’éblouissement qui ravit L. sur le pont avant du ferry quittant la baie de K., une joie profonde qui vient brièvement irradier les os la peau et donner l’élan, il faut partir maintenant vers la voie confuse qui a ressurgi cet été. C’est une allée qui traverse le marché étalé sous les hautes tours de K., ce sont les aigus brefs d’une autre langue, le brouhaha des échanges, le relent des animaux morts et l’effluve d’essence qui émane des étals gorgés de mangues, pourquoi cette odeur d’essence… C’est le poids d’un corps endormi qui s’affaisse sur ton épaule dans le bus qui te conduit aux Nouveaux Territoires, c’est une multitude d’enfants, de femmes et d’hommes qui font jaillir un peu de vie dans le grand chaos du monde, c’est l’enchevêtrement prodigieux de la ville de K., une errance dans ses quartiers mouvants, c’est la beauté nocturne de ses gratte-ciels étincelant dans l’air assombri, c’est une femme et un homme qui fuient une dictature, c’est la réverbération du soleil quand le ferry quitte le port, c’est l’inquiétude du soupçon qui s’accroche à chaque regard, c’est l’amour insensé qu’on éprouve pour les îles, c’est la nature souveraine malmenée la végétation qui prolifère qui déborde c’est le glapissement des chiots attachés devant les petites maisons, c’est une sensation de dessaisissement qui étreint alors que s’évapore une moiteur de thé amer et de poire écrasée, que le ciel obscurci rend plus verdoyants encore les feuillages et que la brume descend sur les collines. C’est un foisonnement de vie et de pourriture, c’est une hypnose une descente en chute libre vers le magma qui bouillonne à l’intérieur, c’est la peau desséchée d’un grand reptile qui s’arrache brusquement de ta peau.


C’est la fin de l’atelier d’été 2020 de François Bon Outils du roman qui se clôt sur une très belle proposition, une invitation au départ, chacun.e vers son livre ébauché au cours de l’été. Pour ma part, les perspectives ont changé, quittant provisoirement (?) le monde de Clément Rocchio pour revenir fouiller l’univers de L.