se calant tant bien que mal dans l’épaisseur de son siège, contrarié à l’idée que placé si loin du hublot il ne pourra pas à l’arrivée plonger son regard dans le vert profond de la mer, dans l’écume déchiquetée des îles… il rouvre les yeux en entendant la rengaine mélodieuse des consignes de sécurité qu’une hôtesse coréenne mime d’un mouvement symétrique des bras, puis, à y regarder de plus près, il constate qu’il s’agit plutôt de conseils de jardinage que prodigue la jeune femme en uniforme, munie d’une griffe à fleurs et d’un tire-racines, d’ailleurs le sol s’est recouvert de terre fraîchement retournée avec des tiges vertes et drues qui jaillissent le long du couloir, également sur les dossiers des sièges où de larges feuilles se déploient… Une petite femme vêtue d’une jupe droite et d’un cardigan fermé sur un col roulé qui engloutit son cou se fraie un chemin à travers des nénuphars géants. Il l’a reconnue, il se demande si c’est lui qu’elle vient voir, oui elle s’arrête à sa hauteur et pose sa main parcheminée sur son avant-bras. Derrière ses énormes lunettes elle le regarde intensément et sans qu’elle ouvre la bouche, sa voix si particulière lui dit : vous savez… elle soupire et se reprend : Tu sais, j’ai cru en finir avec le vice-consul… mais non, il a toujours été là, avec moi… jusqu’à la fin. Il est à la fois ému et prodigieusement agacé par cette confidence. Il répond : Mais pour moi, Breughel, c’est fini. Vraiment fini. Il referme les yeux. Quand il les rouvre, Marguerite a disparu. Les trois personnes installées sur sa droite ne sont plus là et dans la même rangée de l’autre côté de la travée, il n’y a personne. Il se lève. Les feuilles et la terre ont disparu, l’avion a repris une apparence normale, sauf que… il avance dans le couloir, il n’y a plus personne sur les sièges, pas de pulls non plus, ni de sacs, pas de livres ou d’écouteurs laissés en attente d’un retour… l’avion est vide, il est seul à bord… ou presque… il aperçoit à l’avant la silhouette sombre d’un homme… à son corps défendant il appelle : Breughel ! Breughel ! L’homme se retourne, lui fait un signe puis disparaît derrière le rideau de la classe Business. Il court vers l’avant, des ondulations longitudinales déforment la carlingue vide, plus longue que prévu. La silhouette de Breughel a disparu. Il continue de courir dans cet avion vide flottant comme un dragon de papier au-dessus de la mer de Chine