“Il y avait une foule de gens qui marchaient le long des quais, et les gens, comme par hasard,
avec des visages si terribles, qui vous plongent dans la mélancolie, des moujiks avinés,
des commères finnoises, le nez camus, chaussées de bottes et têtes nues, des ouvriers,
des cochers, et nos collègues à nous, pour je ne sais quelles affaires : des gamins,
un petit apprenti serrurier, dans son peignoir rayé, chétif, malingre, le visage baigné dans l’huile rance,
une serrure à la main ; un soldat en retraite, de deux mètres de haut, – voilà quel était le public.
C’était visiblement une heure comme ça, qu’il ne pouvait pas y avoir d’autre public. C’est un canal de navigation, la Fontanka ! Une telle foule de barges qu’on ne comprend pas comment elles peuvent trouver
une place. Sur les ponts, des commères installées avec des gâteaux mouillés et des pommes pourries,
et les commères, elles sont tellement sales, mouillées. Quelle morne promenade, la Fontanka ! Le granit mouillé sous les pieds – autour, des immeubles, hauts, noirs, couverts de suie ; sous les pieds, le brouillard, sur la tête, aussi, le brouillard. C’était un soir tellement triste, tellement sombre.”

Dostoïevski. Les pauvres gens.
Traduction d’André Markowicz

Photo Google Street View remixée