Ce nœud de routes vers la périphérie, la ville a sorti ses boyaux pour éjecter ceux qui partent et absorber les nouveaux venus, des voitures qui freinent devant l’embranchement fermé du rond-point et tournent encore, hésitant sur la direction à prendre…  tangenziale ouest… Porta Romana… ou… Au centre, tout est chaleur et béton, abstraction and concrete, corps et pensées qui s’évaporent, confrontation des besoins primaires à la matière, songe, soif et ciment… Pourquoi se retrouver là…  Autour, des champs de paille brûlée, ponctués de cyprès noirs. Et trois pins parasol dans un virage derrière la glissière de sécurité. Tourner… Des cônes de signalisation rouges devant le plot de béton qui barre l’embranchement fermé, une zone de travaux — semble-t-il — délimitée par un ruban de plastique rouge et blanc, on ne voit pas de quels travaux il peut s’agir, aucune ébauche n’est observable, le lieu est déserté, peut-être une intention laissée en plan, une velléité d’élargir le virage, d’adoucir son angle ? on ne sait pas et on cesse de s’interroger, la chaleur dilue toutes les questions. Le soleil voilé de poussières étale une langueur sans fin sur ce nœud de routes qui convergent pour s’écarter ensuite, sur les rares voitures qui glissent au ralenti dans l’arrondi du rond-point où jaillit l’éclat furtif de leurs vitres closes. Quand les voitures s’éloignent, la stridulation des cigales enfle sous des buissons secs. Aucun mouvement apparent. La lumière vibre sur le béton. Un lézard vient chauffer ses écailles au sommet du plot de béton. De la silhouette des pins parasols coule une ombre minimale. Au premier virage, de longues traces noires de pneus ont quitté leur parabole initiale avant de disparaître sous la glissière de sécurité.

C’est un nœud routier à cinq branches où les voitures ralentissent car la route vers le centro città est fermée, alors où aller, on ne va pas reprendre la tangenziale ouest, ni aller vers la piazza della liberta… Tourner… Derrière le ruban rouge et blanc, un grillage de plastique rouge est tendu sur toute la largeur de la chaussée pour protéger ces travaux dont la nature nous échappe. Dans les anfractuosités du plot de béton, de longues fourmis dessinent un chemin sinueux pour charrier des débris difficiles à identifier.  Après les champs de paille jaunie, le regard se perd dans l’horizon des collines sombres. Un nouveau flot de voitures entre sur le rond-point, ralentit, hésite et se disperse vers les autres Noms où la ville se reforme au loin. Par endroits des flaques chimériques luisent sur le bitume. Un ballet de guêpes affamées virevolte autour d’un buisson de lavande dont on n’avait pas remarqué l’existence tout à l’heure. Le ruban de plastique rouge et blanc claque au vent, au vent âcre et chaud qui s’est levé et qui balance l’ombre élargie sous les pins parasols.  Les cigales persistent dans leur grincement hypnotique. Au loin, très loin, s’entend l’appel d’un enfant : Gaia ! Gaia ! Des oiseaux s’ébattent dans le ciel toscan.

 

 

 

 

Écrit pour l’atelier d’été de François Bon – Tiers Livre : Construire une ville avec des mots
proposition #13 – en l’attente – un point précis de la ville, et laisser faire le temps, ce point livré à son ordinaire