Belleville. Elle s’est relevée d’un strapontin en esquissant un geste d’excuse que je ne comprends pas. Elle m’adresse un sourire éclatant. Je lui souris aussi, charmée par le rayonnement de son visage. Ses cheveux sombres épais mouvants ondulent au moindre de ses mouvements. Elle porte un pantalon jaune fleuri et des ballerines nacrées. Entre deux stations, nos regards se croisent encore, nous nous sourions à nouveau. A République, le métro se vide, elle peut se rasseoir. Bientôt, je remarque qu’elle masse son ventre d’un geste circulaire qui souligne l’arrondi naissant d’une grossesse récente. Je détourne le regard par discrétion. Rambuteau, elle descend du métro. Nos regards ne se sont plus croisés.

Il se hâte autant qu’il peut en s’appuyant sur une béquille. Avec ses jambes tordues, son dos courbé, une épaule plus haute que l’autre, son visage disgracié, on dirait Quasimodo. Il bataille avec le loquet de la porte du métro qu’il n’arrive pas à soulever de sa main libre. A l’intérieur, une femme se précipite pour l’aider. Elle aussi bataille avec le loquet et réussit à maintenir ouverte la porte alors que la sonnerie retentit. Il finit par entrer dans le métro. Il sourit à la femme. Dents abimées, noircies, c’est pourtant un immense et magnifique sourire à la femme qui lui a ouvert la porte.

Derrière moi, on dirait … je n’arrive pas à y croire, si, des doigts s’enfoncent dans ma chevelure et caressent le haut de mon crâne. Je me retourne. C’est un vieil homme, longs cheveux blanc vif, beau visage, vêtu de broderies en loques. Il laisse mes cheveux et lève ses bras en l’air. Dans une de ses mains, une bouteille de vin ouverte. Il déclame une sorte d’incantation rituelle. Sa voix enfle. J’ai le réflexe de quitter précipitamment mon siège avant qu’il ne commence à asperger la rame presque vide du vin sacré de sa bouteille.

 

Texte écrit pour l’atelier d’été de François Bon Dans le métro, ce matin