les prémices de l’été
” Un jour au restaurant, j’ai pu déguster des figues toutes petites, à peine de la taille d’une groseille, marinées légèrement au vinaigre, en accompagnement d’un plat de pigeon. C’était un luxe de pouvoir les manger si jeunes : les figues pas mûres révèlent une autre saveur, une texture beaucoup plus ferme, presque croquante, un goût frais plutôt que mielleux, explosant dans la bouche, qui formait avec l’acidité du vinaigre un mariage parfait. La présence de ces fruits minuscules donnait à l’assiette une allure de mois de juin, quand le parfum des feuilles de figuier embaume l’air avant que l’arbre ne porte ses fruits. Les prémices de l’été contenues dans de toutes petites figues. “
Je viens de terminer la relecture de Nagori, La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter, de Ryoko Sekiguchi. Elle définit pour nous les trois temps de la saisonnalité selon les japonais, notamment pour ce qui concerne les aliments. ” Ainsi, il existe trois termes différents pour décrire l’état de saisonnalité d’un aliment : hashiri, sakari et nagori. Ils désignent l’équivalent de “primeur”, de “pleine saison” et le dernier, nagori, de l’arrière-saison, “la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter. […] Ces trois mots recouvrent encore d’autres domaines, outre la saisonnalité de l’aliment. Hashiri, la forme substantive du verbe hashiru, “courir”, désigne à la fois l’acte de courir et quelque chose qui glisse, mais aussi bien ce qui est “précurseur”, d’où le sens d'”avant-coureur” de la saison, ou “en début de saison”. Sakari signifie “l’acmé”, “le comble” ou les animaux en rut. Les connotations de ces deux termes se laissent aisément saisir. Nagori, quant à lui, possède une acception beaucoup plus large. Il signifie avant tout la trace, la présence, l’atmosphère d’une chose passée, d’une chose qui n’est plus.”
J’aime beaucoup l’attention de Ryoko Sekiguchi aux choses intangibles comme la voix, les odeurs, les goûts, les saisons ainsi que sa façon à la fois simple et subtile de les approcher et de les écrire. Est évoquée aussi la tentation ou la tentative vouée à l’échec de se rendre maître des saisons, qui est un des thèmes de K.
Je me suis beaucoup attachée à ce livre et au moment de le reposer dans la bibliothèque, un pincement au cœur particulier, un nagori de ce Nagori. Et je me rends compte que si j’ai choisi de recopier ce passage sur les prémices de l’été, c’est parce que la sensation que l’été est sur la pente de son déclin m’envahit par moments ces jours-ci, le déclin de l’été tant attendu durant l’année, de sa profusion tant souhaitée. Avant de reposer le livre, il me reste à recopier ce passage sur l’étymologie du mot Nagori. “L’étymologie du mot se rapporte à nami-nokori, “reste des vagues”, qui désigne l’empreinte laissée par les vagues après qu’elles se sont retirées de la plage. Cela comprend à la fois la trace des vagues, ces sillons immatériels dessinés par les vagues sur le sable, et les algues, coquillages, morceaux de bois et galets abandonnés sur leur passage. Il n’y a ni raison ni logique à cette accumulation en dépôt, mais une fois qu’elle est là, elle s’y établit pour un temps, éphémère. De nos jours, le mot s’épelle na-gori, “le nom qui reste”. Bien qu’ils ne reflètent pas l’origine du mot, ces caractères me semblent produire une image tout aussi évocatrice de nagori.”