le Grand Homme et le Tigre Blanc

Noir sur Blanc. Ciel d’orage, lumière crue, ombres denses. Ouvriers en salopettes de cérémonie. Brosses en main. Chassent les poussières d’acier du bas-relief. Lustrent nez, bouches et cheveux de métal. Sur une échelle, l’un d’eux se hisse vers la figure du Grand Homme. La frotte d’un chiffon. Un autre muni d’un long balai éponge nettoie le filigrane du Tigre Blanc. Bande-son discrète, légères percussions. Quelques idéogrammes. Sous-titrage en anglais. Propagande à visée internationale.

Blanc sur Noir. Lent travelling latéral sur le long bas-relief de métal luisant. Devant les marches recouvertes de fleurs. Vue plongeante sur la foule amassée autour de l’esplanade. Arrivée d’un cortège officiel. Des gardes du corps, une trentaine d’hommes en noir et blanc, costume-cravate-oreillette. Frémissement de petits drapeaux dans la foule, agités de plus en plus frénétiquement. Immense acclamation muette, jaillie des poitrines. Apparition du Président en personne. Costume, cheveux sombres impeccablement coupés, laqués en arrière. Monte sur l’estrade. Front dégagé, air débonnaire, satisfait. Gros plans, sourires de femmes, d’enfants. Ravissement. Applaudissements.

Clair obscur. Images d’archives, granuleuses. Mouvements de foule, fumées de lacrymogène. Définition imprécise. Jeunes manifestants, banderoles, policiers casqués, grands boucliers serrés. L’image saute. Esplanade désertée. Détritus de toutes sortes, planches brisées, chaussures abandonnées. Au-dessus des marches, la roche de la colline en coupe transversale. Des taches sombres sur la pierre. L’image saute. Le visage du Grand Homme devant un micro. Ses lèvres tendues, ses bras, ses poings fermés. L’image saute. Cortèges d’étudiants en veste large, attachés par les mains et les pieds, avançant tête baissée. Fondu enchaîné blanc . Le Grand Homme tout sourire, les mains ouvertes, prononce un discours dont les mots défilent très lentement sur l’écran.

Images animées (certaines lignes légèrement soulignées de couleurs). Ombres d’un fleuve. Jour à peine naissant. Silhouettes sombres d’arbres touffus se détachant de la nuit. Progressivement. Le Grand Homme debout près du fleuve. À l’affût. Environnement chargé de promesses et de menaces. Fondu des images suggérant un rêve. Un bruit, un craquement de branches. On ne l’entend pas, mais le Grand Homme sursaute, se retourne. Une bête énorme surgit de la forêt. C’est un immense tigre blanc, splendide spécimen d’une espèce disparue. Frayeur. Le tigre blanc dévisage intensément le Grand Homme et se dirige vers lui. Mélodie folklorique jouée à l’erhu. Quelque chose dans le regard du tigre, dans sa démarche souple indique qu’il ne va pas attaquer le Grand Homme. Il avance paisiblement, s’arrête à deux mètres de lui puis marche vers le fleuve. Il entre dans l’eau, se désaltère parmi les lotus en fleurs avant de nager dans les eaux qu’illumine le soleil levant.

Blanc soleil. Légère surexposition. Des machines-outils flambant neuf sur l’esplanade Bái-Hǔ. Échafaudages en bambou. Ouvriers souriants. Un homme en pantalon sombre et chemise claire, casque de chantier sur la tête, dit quelques mots devant le micro d’un journaliste, en désignant de la main la roche abrasée derrière l’esplanade. Les mots qu’il prononce n’ont pas besoin d’être entendus, tout le monde comprend que le gros œuvre du bas-relief de l’Infinie Clémence a commencé. Chant traditionnels en léger fond musical.

Nuit blanche. Pleine lune sur l’esplanade. Deux jeunes filles et deux jeunes hommes vêtus de polos clairs et de pantalons sombres impeccables sont assis sur les marches devant le bas-relief de l’Infinie Clémence. Des figurants. Posés à côté d’eux, des sacs à dos et deux livres. La version orchestrale de The moon mirrored in the pool résonne. Souriants, les étudiants devisent gaiement en buvant des canettes d’ice tea. Zoom avant sur le visage d’une des deux jeunes filles. Gros plan. Dégradé d’ombres soigné. Beau sourire de la jeune fille. À l’arrière-plan, les traits des visages de métal du bas-relief ressortent en éclats de lumières estompés, flous et cependant bien présents.

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