Le feuilleton. Déterritorialisation.
Éric Chevillard part à la dérive avec Gina Rhanem.

Qui n’a pas rêvé un jour d’être autre ? De vivre dans un autre pays, à une autre période, dans un autre corps peut-être ? L’écrivain peut réaliser tous ces désirs par le truchement de sa plume et les transmuer à volonté en bousculant sa langue. Mais cela lui suffit-il ? N’a-t-il pas besoin de toujours aller voir ailleurs s’il pourrait y être ? Après avoir délaissé la littérature expérimentale pour le fantastique puis pour le polar, Gina Rhanem nous invite ici à une singulière expérience de déterritorialisation. Ayant consenti à effrayer le lecteur par une description à la fois diabolique et délicate du corps de la victime puis à disposer quelques pistes sourdement inquiétantes, elle semble se désintéresser de l’enquête proprement dite – confiée à l’aimable Joseph – pour sonder l’atmosphère tranquille de la Haute-Marne. Elle applique à son exploration une grille de lecture picturale, emprunte le titre de certains chapitres à quelques tableaux d’Hokusai, et instille dans des paysages somme toute banals une inquiétante étrangeté. Le tour de force de ce décalage subtil mais puissant consiste à disséminer ci et là divers indices qui mèneront à la résolution de l’énigme tout en accordant la primauté à l’ambiance et aux lieux, magnifiés par la langue si précise de Gina Rhanem. Emportés, nous ne nous étonnerions pas de voir les neiges du Mont Fuji scintiller derrière le plateau de Langres…

La noyée de la Vingeanne, de Gina Rhanem, Le cadavre exquis, 221 pages, 17 €.


Il était question suivant la proposition de Jean-Michel Espitallier dans son atelier, d’écrire des critiques de nos livres fantômes. Ici une critique positive du polar de Gina Rhanem en prétendant emprunter la plume d’Éric Chevillard dans les feuilletons qu’il tenait au Monde des Livres. Et prochainement une critique qui pique…