Les Diaphanopteryx

Notes préliminaires au compte-rendu de la mission « Plitvice 2031 » et à une éventuelle publication dans la revue « Anomalies animales ».

Rares ont été les scientifiques qui, au XXème siècle, ont accordé un quelconque crédit à la monographie de Mircea Zaïssan sur les Diaphanopteryx[1]. Si des circonstances récentes[2] n’avaient pas motivé le financement de la mission actuelle, nul doute que l’existence des Diaphanopteryx serait tenue pour aussi vraisemblable que celle de la Reine Noire qui, dans la légende croate, présida à la naissance des lacs Plitvice. Or les observations menées durant les six semaines de notre mission attestent l’existence des Diaphanopteryx dont nous pouvons aujourd’hui dresser une description certes incomplète mais étayée par plusieurs relevés biologiques et de nombreuses photographies. Les Diaphanopteryx sont une espèce qui est loin d’avoir livré tous ses secrets et une étude complémentaire – pour laquelle nous proposons plusieurs axes – serait nécessaire pour documenter les mécanismes de leur alimentation et de leur reproduction.

Les Diaphanopteryx pourraient constituer une famille hybride sur le plan de la classification phylogénétique. Ce sont des animaux ovoïdes, d’une corpulence atteignant jusqu’à un mètre quarante de hauteur et un mètre dix de circonférence. Leur peau transparente, légèrement bleutée, laisse voir très distinctement leurs organes internes et une importante ramification de circuits et de vaisseaux variés. La circulation de liquides organiques de couleur vert brun ou jaunâtre peut facilement être observée sans que leur fonction ait à ce jour été clairement identifiée. La moitié supérieure du corps des Diaphanopteryx est dotée de deux ailes repliées, dont le squelette et la membrane très vascularisée rappellent le patagium des chauves-souris. Les Diaphanopteryx connaissent de longues périodes d’hibernation mais aussi d’estivation durant lesquelles ils demeurent amorphes, agglutinés les uns aux autres au pied de grands arbres. Durant ces périodes, leur corps sécrète une abondante gelée translucide d’où émane une puanteur toxique si révulsive que l’approche à moins de deux mètres ne peut être envisagée sans équipement de protection. Cette émanation durant leurs phases léthargiques les place à l’abri d’éventuels prédateurs que nous n’avons pas à ce jour identifiés. Les Diaphanopteryx vivent la plupart du temps dans des forêts épaisses filtrant en grande partie la lumière du jour. La pénombre semble être une condition nécessaire à leur survie, sans que cette hypothèse soit à ce jour confirmée. Les Diaphanopteryx ont apodes et se déplacent en glissant sur le sol. Les mécanismes précis de leur motricité n’ont pas encore été élucidés.  Les Diaphanopteryx présentent la particularité d’être métamorphes. Les quelques scientifiques qui se sont intéressés au sujet avant notre mission pensaient que l’œuf était la forme du Diaphanopteryx dans son premier stade de développement. Nous avons aujourd’hui la conviction qu’il n’en est rien. Certains Diaphanopteryx restent des œufs y compris à l’âge adulte. D’autres Diaphanopteryx prennent très tôt différentes formes – le plus souvent d’oiseaux ou de gros lézards ailés – par un phénomène d’évolution qui présente une certaine analogie avec celui des Pokémons[3]. Il est à noter que malgré la structure très évoluée de leur patagium, les Diaphanopteryx volent rarement et bien que pratiquant le vol battu, s’élèvent à peine au-dessus des forêts qui les abritent.  Leurs vols s’observent au sortir des périodes d’hibernation et d’estivation, s’accompagnant de cris stridents qui signalent vraisemblablement le début de rites sexuels que nous n’avons malheureusement pas pu étudier. Leur vol ultime est le plus spectaculaire. Faisant écho à une légende des lacs Plitvice, les Diaphanopteryx s’envolent pour mourir et le moment venu voient leurs ailes découpées s’enflammer spontanément et leur corps se consumer d’un coup, causant – lorsque les circonstances météorologiques s’y prêtent – de violents incendies.

[1] The reality of Diaphanopteryx, Mircea Zaïssan, (1991), in Science and Research.
[2] Les terribles incendies de mai-juin 2031 qui ont menacé le cœur des forêts primaires d’Europe Centrale.
[3] À l’instar des Pokémons qui évoluent après avoir atteint un certain niveau d’expériences, il semblerait d’après nos observations que les Diaphanopteryx évoluent après avoir emmagasiné une quantité suffisante d’énergie, vraisemblablement durant leurs périodes d’hibernation et d’estivation.


Dans son atelier, Jean-Michel Espitallier nous a proposé d’écrire un monstre et de le décrire avec un discours scientifique.