Homère relate qu’Ulysse pour échapper à l’emprise du Cyclope Polyphème lui déclare s’appeler Personne. Une fois son œil percé par Ulysse, le Cyclope appelle les autres Cyclopes à sa rescousse mais quand ceux-ci l’entendent crier que son œil a été crevé par Personne, ils le croient devenu fou et repartent sans soupçonner la présence d’Ulysse et de ses compagnons dans la grotte de Polyphème. Plus tard, ceux-ci s’agrippant sous le ventre des brebis du Cyclope parviennent à lui échapper.

Selon certains, quand Ulysse déclare à Polyphème que son nom est Personne, il ne s’agit pas seulement d’une ruse mais aussi d’une forme de perte d’identité, de dépersonnalisation d’Ulysse dans cette île des Yeux Ronds qui ne se soucie ni de l’autorité de Zeus ni de la gloire des rois guerriers, où nul ne saurait reconnaître son prestige de roi d’Ithaque. Ce n’est qu’après avoir quitté l’île, une fois de retour à bord de son navire qu’il criera au Cyclope son véritable nom.

Selon d’autres qui reviennent au grec ancien du texte d’Homère, il ne s’agirait pas tant d’une ruse d’Ulysse, l’homme aux mille tours, que d’une erreur de Polyphème. Lorsque le Cyclope demande à Ulysse quel est son nom, celui-ci répondrait que son père, sa mère et ses compagnons l’ont surnommé Ὀδύς (Odiss), une contraction d’Ulysse. Polyphème entendrait οὐδείς (oudiss) et répéterait οὖτις (outiss) qui signifie Personne.

Fernando Pessoa, un homme qui pouvait vraiment dire mon nom est Personne, a écrit un court poème intitulé Ulysse dans lequel il n’évoque pas l’épisode du Cyclope.

Reste entier dans notre langue le mystère du mot personne, de sa polysémie troublante, comme d’un grand miroir vide où quelqu’un se contemple et ne voit rien.

 

Texte écrit pour la proposition 3 de l’atelier d’hiver de François Bon, Recherche sur la nouvelle.