On disait que c’était là, dans les rues de K. , qu’il y avait la plus forte densité de population au monde, une multitude qui se frôlait, qui s’affairait, des corps qui se heurtaient parfois en se croisant, les premiers temps tu te sentais bousculé, ton sentiment de l’individu profondément chamboulé, tes schémas mentaux, corporels, s’étiraient, se fondaient dans le nombre, la foule comme une matière indomptable te malaxait, te façonnait peu à peu, tu devenais une particule de son grand corps, emporté dans ses remous. Au début tu t’étonnais quand un collégien tombait endormi sur ton épaule dans le bus qui t’amenait aux Nouveaux Territoires, un collégien ou un homme âgé, personne ne semblait percevoir la frontière de ton espace vital, ça t’irritait qu’on vienne ainsi troubler tes rêveries, tu essayais de redresser le somnolent qui retombait immanquablement contre toi, quand c’était  une jeune fille qui glissait assoupie sur ton bras, ses cheveux soyeux caressant ta peau, tu te montrais plus compréhensif, de toute façon il était impossible d’endiguer l’abandon des dormeurs. Au début tu te sentais loin, loin de tout,  et puis même ce sentiment s’est éloigné de toi, une forme de dessaisissement, tu marchais malgré toi dans les travées des marchés de nuit, parfois tu mangeais des raviolis frits après avoir trempé tes baguettes dans un bol de thé bouillant, l’hygiène ne t’importait plus mais certaines odeurs soulevaient encore ton estomac, tu commençais à aimer les mélopées d’opéras jaillissant des transistors posés parfois à même le trottoir, ça faisait longtemps que tu n’avais plus entendu ni prononcé ce mot, transistor. Ta perception du temps aussi s’éloignait, tu marchais dans un présent vague sans passé sans futur.


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