Il avait dit qu’il n’était jamais venu à F. auparavant. Que c’était la première fois. Pourtant presque immédiatement, quelque chose dans la couleur poussiéreuse des rues l’avait cueilli. Il n’avait pas éprouvé l’excitation de découvrir à son tour une ville mille fois célébrée. Ni l’appréhension d’être déçu devant ses splendeurs trop vantées. Il s’était senti bizarrement chez lui. Etait-ce la densité des bâtiments du centro città… l’obscurité des rues étroites ou les places inattendues… le jaune mat des façades… cette sensation de revenir chez lui. Comme s’il n’avait fait qu’errer ses vingt et une premières années de vie, toujours bancal, toujours heurté par l’impossibilité d’être vraiment présent dans des lieux transitoires.

Il voulait offrir un café au garçon et à la fille qui l’avaient pris en stop. Mais ils avaient insisté pour aller tout de suite voir le Duomo. Lui n’avait pas envie de se précipiter. Les ruelles sombres, les fenêtres closes lui convenaient pour le moment. Il voulait apprivoiser cette onde de déjà-vu qui affluait en lui. Il a pris son sac à dos dans le coffre de leur voiture et leur a dit qu’ils se retrouveraient plus tard. Une fraction de seconde, les yeux noirs de la fille se sont fixés sur lui. Devinait-elle qu’il éviterait de les recroiser ? Le garçon lui a souri.

Il avance dans l’ombre des rues et monte des escaliers de pierre vers des églises calmes où il n’entre pas. Il laisse la sensation organique d’être vivant-dans-la-ville le submerger. Bientôt il s’assoit sur des marches arrondies dont il saisit l’épaisseur à pleines mains. L’intimité qu’il ressent avec ces lieux le stupéfie. Il se demande si sa ville natale ressemblait à F. …ou si dans une lointaine vie antérieure il n’aurait pas vécu ici… l’idée d’avoir pu croiser un jour l’enfant divine, la belle Muse morte trop jeune le fascinerait… Mais il est juste assis là, sur cette marche de pierre piquée à laquelle qu’il s’accroche. Soulagé que la matérialité d’une ville le porte enfin.

 

Texte écrit pour l’atelier d’été de François Bon – Tiers Livre : Construire une ville avec des mots.
Proposition #1 : se concentrer mentalement sur une idée très simple : je reviens dans un lieu quitté il y a longtemps, mais chacun a un nombre très limité de ces lieux susceptibles de provoquer cette sensation – les lister – puis traiter de ce retour, mais impérativement à la 3ème personne.