Archange des ténèbres

Né de l’abîme
de tes yeux bleus tu me regardes.
Tu me regardes sous tes cheveux crépus de nuit,
ciel glacé, fulgurant que j’adore.
Sous ton front de neige
deux durs arcs menacent ma vie.
Ne me foudroie pas, laisse-toi fléchir amant et chante.
Tu es né d’un abîme entrouvert
dans la nocturne insomnie de ma frayeur solitaire.
Une fumée abyssale coagulante t’a formé soulignant ta beauté
sans pareille.
Tu as avancé ton pied, brillant encore de la roche pelée,
et souterrainement tu m’as convoqué au monde,
à l’enfer céleste, ô archange des ténèbres.

Ton corps résonnait au loin, là-bas à l’horizon,
mer épaisse et fumeuse aux aveuglants confins,
lèvres de mort sous des oiseaux nocturnes
aux ailes visqueuses, croassant de désir.

Ton front hautain frôlait les étoiles
qui affligées s’éteignaient sans vie,
et sur les hauteurs métalliques, lisses et dures, tes yeux
étaient les lampes d’autel d’un ciel maudit.

Tu respirais sans le secours du vent, mais dans ma poitrine
de sombres coups d’ailes se mêlaient en un battement sourd.
Oh ! non, ne me touchez pas, froides brises,
longues, longues lèvres, avancées membraneuses
d’un amour, d’une ombre, d’une mort embrassée.

Le matin suivant quelque chose pointait comme une aube
à peine entrevu derrière le mont bleu, léger,
illusion peut-être, aurore, ô matinal désir !,
ou candide destin dans la lumière du jour.

Mais la nuit enfin tomba lourdement.
Ô lèvres troubles, ô escarboucle éclatante,
ô torse qui te dressais, clouté de feu,
dur corps de flamme ténébreuse, puissant,
qui incrustais ta tête dans les cieux glacés.

C’est pourquoi je te regarde. Parce que la nuit règne.
Ange nu de la lumière morte, mon maître.
C’est pourquoi je regarde ton front, où deux arcs impassibles
gouvernent ma vie sur un monde éteint.

 Vicente Aleixandre.
Dans Ombre du paradis.