Jour 1. C’est un mug de porcelaine blanche, orné d’un motif floral légèrement japonisant qu’un premier regard n’identifie pas nécessairement comme la représentation d’une orchidée. Le mug n’est pas cylindrique, sa base est plus étroite que son ouverture. On dirait plutôt un parallélépipède arrondi ou un cylindre dont on aurait aplati les courbes tout en évasant son ouverture. Comme tout mug qui se respecte, mon mug présente une anse, en l’occurrence suffisamment large pour que trois doigts assez fins puissent l’enrouler. Notons tout de suite que le motif à l’orchidée – car il s’agit bien d’une orchidée – n’est visible que pour qui soulève le mug de sa main droite. Si j’étais gauchère, je ne verrais en buvant mon thé qu’une paroi blanche légèrement brillante. La décoration fait la part belle à la fleur d’orchidée qui déploie ses pétales et sépales blanc gris sur un angle arrondi du mug. En son centre, le labelle rouge turgescent dévoile sa vocation de leurre sexuel, destiné à attirer les insectes trompés par sa forme et à recevoir l’atterrissage des pollinisateurs qui en tentant de l’inséminer sentiront leur tête ou leur abdomen se tapisser d’un pollen visqueux qu’ils iront ensuite disséminer au cœur d’autres fleurs. À côté de la corolle, la tige gris marron et les feuilles vert pâle semblent comme atrophiées à moins que ce ne soit l’effet d’une perspective improbable qui rabatte ces trois petites feuilles à proximité de l’anse. Malgré la disproportion des feuilles – remarquée seulement dans un examen attentif de l’objet – la décoration se fond avec harmonie dans la forme du mug. La surface du mug est douce et les mains se plaisent à l’entourer, à se réchauffer à la chaleur du thé sombre qu’elle diffuse le matin. Quand le niveau du thé décroît, des traces apparaissent sur la paroi interne qui marquent les niveaux successifs de la boisson.

Jour 2. Le mug est un cadeau d’I., mon ami suédois, qui me l’a offert lors d’un de ses passages à Paris, il y a près de 20 ans, ou plus, je ne saurais dire précisément quand. À la différence du photophore en boule de neige qu’I. m’avait offert au tout début de notre amitié, le mug ne vient pas de Stockholm mais a été acheté à Paris.

C’est un mug de porcelaine blanche, de dix centimètres de hauteur, orné d’un motif floral légèrement japonisant qu’un premier regard n’identifie pas nécessairement comme la représentation d’une orchidée. Le mug Il n’est pas cylindrique, sa base est plus étroite que son ouverture. On dirait plutôt un parallélépipède arrondi ou un cylindre dont on aurait aplati les courbes tout en évasant son ouverture. Comme tout mug qui se respecte, mon mug présente une anse, en l’occurrence suffisamment large pour que trois doigts assez fins puissent l’enrouler. Notons tout de suite que lLe motif à l’orchidée – car il s’agit bien d’une orchidée – n’est visible que pour qui soulève le mug de sa main droite. Si j’étais gauchère, je Une gauchère ne verraits en buvant mson thé qu’une paroi blanche légèrement brillante. La décoration fait la part belle à la fleur d’orchidée qui déploie ses pétales et sépales blanc gris sur un angle arrondi du mug. En son centre, le labelle rouge turgescent dévoile sa vocation de leurre sexuel, destiné à attirer les insectes trompés par sa forme et à recevoir l’atterrissage des pollinisateurs qui en tentant de l’inséminer sentiront leur tête ou leur abdomen se tapisser de pollen visqueux qu’ils iront ensuite disséminer au cœur d’autres fleurs. À côté de la corolle, la tige gris marron et les feuilles vert pâle semblent comme atrophiées à moins que ce ne soit l’effet d’une perspective improbable qui rabatte ces trois petites feuilles à proximité de l’anse. Malgré la disproportion des feuilles –  remarquée seulement dans un examen attentif de l’objet – la décoration se fond avec harmonie dans la forme du mug. La surface du mug est douce et les mains se plaisent à l’entourer, à se réchauffer à la chaleur du thé sombre qu’elle diffuse le matin. Quand le niveau du thé décroît, de légères traces apparaissent sur la paroi interne qui marquent les niveaux successifs de la boisson.

Jour 3. J’aime l’objet, peu le mot. Mug, mug, mug. Trouver un synonyme ? Une tasse est moins profonde, plus évasée ; de ce fait, le mug conserve plus longtemps la chaleur du thé ou du café. Prétendre que godet est synonyme de mug c’est oublier qu’un godet est généralement dépourvu d’anse. Le CNTRL ignore superbement le mug mais nous apprend que la moque désignait (désigne encore ?) sur le littoral atlantique et de la Manche un objet similaire, nommé mok en breton.

Mug, moque, mok, mokke, mukke, mugg, mugge…

L’origine du mot anglais mug est incertaine… peut-être scandinave, ainsi dit-on mugg en suédois et mugge en norvégien… alors l’histoire de mon mug, cadeau d’un ami suédois, s’alignerait tout naturellement sur l’origine du mot le désignant.

Métonymie opérant, le mug ne désigne pas seulement le contenant de porcelaine blanche mais aussi le contenu en quantité et nature, soit environ 165 centimètres cube de darjeeling ou de thé Sencha (tenant compte du fait que je ne remplis pas mon mug à ras-bord). Pourtant j’entends rarement dire je vais boire un mug de thé, comme on dit boire une tasse de thé ou plus simplement boire un thé.

La difficulté majeure dans la description de ce mug est de découvrir ou d’inventer les mots pour désigner sa forme qui n’est ni cylindre ni parallélépipède ni prisme. Je n’ai pas trouvé le mot juste, et pour la première fois je ressens vraiment ce qu’est la rage de l’expression.

Jour 4. I. ne m’a pas offert un mug à l’orchidée mais deux mugs identiques, du moins je le pensais jusque-là, ne les ayant jamais distingués, je prenais l’un ou l’autre, l’un pour l’autre, indifféremment, sans les extraire de leur gémellité de porcelaine. Aujourd’hui ils sont posés là sur la table, l’un à côté de l’autre, et il va s’agir pour la première fois de les observer minutieusement pour détecter leurs différences s’ils en ont. Regarder la tige les feuilles de l’un et vite regarder la tige les feuilles de l’autre, comme dans un jeu des sept différences. Les plis du pétale inférieur sont plus marqués et moins nombreux sur l’un des mugs, l’un d’eux ressemble plus à une déchirure qu’à une fronce. En les tournant légèrement, il peut sembler que la courbure de la tige n’épouse pas tout à fait de la même façon l’arrondi vers l’anse. Cela reste infime. Mais en soulevant les deux mugs, on remarque une différence vraiment flagrante : un petit T4 comme en relief mais lisse sous la pulpe des doigts marque le dessous d’un des mugs, celui dont le pétale inférieur est comme déchiré.

Jour 5. Un des deux mugs qu’I. m’a offert il y a environ vingt ans, est en porcelaine blanche, un peu brillante, ornée d’un motif floral légèrement japonisant. Sur dix centimètres de hauteur son corps a été harmonieusement moulé dans une forme hybride; fusion d’un cylindre et d’un parallélépipède qui marie l’arrondi à l’anguleux. Une grande fleur d’orchidée déploie ses pétales et sépales blanc gris un peu froncés sur un angle courbe du mug. En son centre, la turgescence d’un labelle rouge sombre. De la corolle émerge une fine tige gris brun qui traverse la face décorée du mug et se ramifie près de l’anse où elle porte trois petites feuilles vert pâle. La légère disproportion de la tige et des feuilles ne nuit pas à la grâce du motif. La décoration florale n’est visible que pour qui soulève le mug de sa main droite. Un gaucher ne verra en buvant son thé qu’une paroi blanche. La surface du mug est douce et les mains se plaisent à l’entourer, à se réchauffer à la chaleur du thé sombre qu’elle diffuse le matin. Quand le niveau du thé décroît, de légères traces apparaissent sur la paroi interne qui marquent les niveaux successifs de la boisson (et peut-être les états progressifs d’une conscience qui s’éveille dans la fraîcheur du matin).  Le deuxième mug est presque identique au premier, à ceci près que les plis de son pétale inférieur sont plus prononcés, l’un d’eux comme une déchirure, et qu’on trouve inscrits sous son assise deux petits caractères blancs, T4, dont on ignore la signification.

écrit pour l’atelier d’été de François Bon “Pousser la langue